Les jeux d’argent dans la peinture (1)

Première partie: les jeux de cartes, miroirs d’une société

Si le cinéma s’est intéressé aux jeux d’argent comme nous pouvons le voir régulièrement ici, il n’est pas le seul art à y trouver de la matière.
Déjà bien avant lui, les peintres ont pu y puiser leur inspiration pour plusieurs œuvres devenues célèbres. Tricheries, revers de fortune, émotions diverses et postures sociales, le jeu d’argent contient naturellement de bons ingrédients tragiques intéressants à exploiter.

Les jeux de cartes sont sans doute les jeux d’argent les plus représentés dans la peinture, précisément pour tout l’aspect tragique cité précédemment. Lors d’une partie de cartes, tout se cache et c’est paradoxalement l’humain qui se dévoile alors. La mise en scène elle-même -plusieurs joueurs regroupés autour d’une table- offre un cadre très visuel et pratique pour explorer un large éventail d’émotions et de travers humains.

Découvrons ou redécouvrons ensemble quelques-unes des toiles les plus célèbres sur le sujet.

Les Tricheurs, Le Caravage, vers 1595

Apparemment la discrétion n’a été inventée qu’après le XVIème siècle…

Le titre est on ne peut plus explicite: un joueur dupe son adversaire avec l’aide de son complice. Il s’agit d’une partie de “zarro” ou de “prime”, jeux très en vogue durant la Renaissance, se rapprochant quelque peu du poker actuel.
On peut voir le complice faire des signes avec ses mains pour indiquer le jeu de l’adversaire, et le tricheur échanger ses cartes contre d’autres dissimulées dans son dos.

Le Tricheur à l’as de carreau, De La Tour, vers 1636

Même sujet et même traitement que dans la première œuvre dont elle est directement inspirée: on observe un tricheur échanger ses cartes dans son dos. Avec la complicité de la troisième joueuse et peut-être de la servante, il cherche à plumer le jeune homme de droite, visiblement aussi aisé que naïf et légèrement à l’écart des trois autres personnages sur le tableau.

Dans ces deux œuvres la représentation se veut réaliste, en revanche la mise en scène est très théâtrale, typique du style de l’époque.
La représentation de la triche était un sujet récurrent pour plusieurs raisons, au-delà de la dramaturgie évidente qui s’en dégage. D’abord simplement parce que les jeux de cartes étaient très populaires à cette époque, et il semble que la triche y était monnaie courante, à un degré sans doute difficilement concevable aujourd’hui.
Ces représentations avaient également une fonction moralisatrice pour le public. Le jeu et sa popularité toujours croissante était considéré comme dangereux socialement.

Les Tricheurs du Caravage a inspiré de nombreux autres artistes dans les décennies suivantes, qui produiront des œuvres très similaires sur cette thématique:

De gauche à droite:
Nicolas Régnier, Joueurs de cartes et diseuse de bonne aventure, 1620
Valentin de Boulogne, Les tricheurs, vers 1615
Gerard van Honthorst, Les tricheurs, vers 1650

Les joueurs de cartes, Paul Cézanne, 1890 à 1895

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération. Ceci est un message du Ministère de la Santé et de Santé Publique France” 🙂

Trois siècles plus tard, Paul Cézanne s’empare du sujet et le réinvente complètement pour réaliser non pas un mais cinq tableaux.
“Les joueurs de cartes”, réalisés entre 1890 et 1895, abordent les jeux de cartes sous un angle totalement différent.
Ici, pas de triche, pas d’élément dramatique ni de mise en scène théâtrale, et aucun message moralisateur. Des Hommes, sans fard, dans toute leur simplicité et leur concentration nécessaire à la partie.

Chez Cézanne, le jeu semble être une affaire sérieuse. Il y est présenté comme une activité à la fois sociale et solitaire, puisque les joueurs partagent ce moment sans pourtant réellement se regarder, trop absorbés par leurs cartes.
D’ailleurs Cézanne peint d’abord une scène à 5, puis 4, puis finalement 2 personnages pour les trois dernières versions. Un minimalisme comme un dépouillement nécessaire dans sa recherche
d’une mise en lumière d’une vérité nue, d’une authenticité absolue. Il choisit des paysans pour modèles, toujours dans cette quête d’authenticité.


Dans les derniers tableaux de la série, il est intéressant de noter la différence de stature entre les deux personnages. A gauche, un homme mûr se tenant droit, chapeau haut de forme sur la
tête et pipe à la bouche. A droite, un homme plus jeune, voûté, l’air quelque peu abattu, portant un chapeau mou. On peut y voir une représentation des différences de statuts sociaux à l’époque, ou peut-être une image symbolique d’une relation père/fils, Cézanne ayant été longtemps en conflit avec son père.

Quelques années plus tard, c’est au tour du cubisme de s’approprier la thématique en dynamitant tous les codes. Picasso, Georges Braque ou encore Fernand Léger exploreront l’univers des jeux de cartes pour certaines de leurs œuvres. Tout ici n’est alors plus que suggestion.

De gauche à droite:
Picasso, Joueurs de cartes, 1913
Georges Braque, Compotier et cartes, 1913
Fernand Léger, La Partie de cartes, 1917

Les Chiens jouant au poker, C. M. Coolidge, 1903

Il n’y avait peut-être pas que du tabac dans ces cigares.

Enfin ce petit tour d’horizon ne serait pas complet sans une dernière œuvre très célèbre issue de la pop culture: Les Chiens jouant au poker, de Cassius Marcellus Coolidge.
Il ne s’agit en réalité pas d’une, mais de 16 peintures à l’huile représentant des chiens anthropomorphes dans diverses situations, dont 9 les représentent accoudés à une table de poker.
Autre pays autres mœurs, cette série de toiles était à la base destinée à la publicité d’une marque de cigares aux États-Unis !
Complètement loufoques et surréalistes, ces peintures ont depuis largement dépassé leur vocation publicitaire, pour devenir une référence récurrente de la pop culture au fil des décennies jusqu’à aujourd’hui.

Sans doute en avez vous déjà vu des références dans des séries télé ou autres, la pop culture étant un jeu de références permanentes qui s’auto-alimentent et finissent par graver ce genre d’œuvres dans l’imaginaire collectif.

Dans un prochain article nous reviendrons sur des peintures célèbres liées à d’autres jeux d’argent, notamment au casino et aux courses hippiques.