Les jeux d’argent dans la peinture (2 et 3)

Deuxième partie: les courses hippiques, la recherche de l’esthétique

L’œil de l’Homme trouve instinctivement dans le cheval une certaine beauté comme seule la nature sait en produire. Les artistes ont depuis toujours apprécié certains modèles animaux, et particulièrement les équidés.
Quand ceux-ci sont domestiqués et sélectionnés particulièrement pour la course, leurs silhouettes athlétiques sont mises en exergue. Musculeuses et harmonieuses à la fois, c’est une impression de puissance et de vitesse qui s’en dégage.
Les peintres ne s’y sont pas trompés, et nombreux sont ceux à avoir arpenté les premiers hippodromes pour trouver l’inspiration.

George Stubbs, 1724-1806

De gauche à droite (cliquez pour agrandir):
Gimcrack on Newmarket Heath, with a Trainer, a Stable-lad, and a Jockey, 1765
Hambletonian, rubbing down, vers 1800
Otho, with John Larkin up, 1768

Et qui dit courses de chevaux dit… Angleterre. Avec l’engouement pour les premiers champs de courses au XVIIIème siècle, c’est d’abord George Stubbs, “le peintre des chevaux”, qui comprendra l’esthétique unique de cette discipline, et saura l’immortaliser sur plusieurs toiles.
Stubbs se passionnera toute sa vie pour l’anatomie du cheval, et cherchera avant tout l’exactitude et la précision dans ses œuvres. Un sens du détail au service de l’élégance.

Le Derby de 1821 à Epsom, Théodore Géricault

“Bloody hell, hurry up gentlemen, it’s tea tiiiiiiime !”

Au XIXème siècle, le peintre français Théodore Géricault découvre les courses hippiques lors d’un séjour en Angleterre. En la matière, le travail de Stubbs fait ouvertement partie de ses sources d’inspiration pour nombre de ses toiles représentant les chevaux en général.
Géricault signe sans doute l’œuvre la plus célèbre sur cette thématique, “Le Derby de 1821 à Epsom”.
Course à l’aspect irréel, un ciel menaçant pour seul spectateur de ces chevaux qui semblent littéralement voler sur la piste, c’est ici l’impression de vitesse débridée qui domine.

La recherche du mouvement prime sur le souci de réalisme, comme en attestent les “galops volants” physiquement impossibles.

Course de chevaux et Course de chevaux montés au galop, Théodore Géricault, vers 1820

Edgar Degas, 1834-1917

De gauche à droite:
Course à Longchamp, 1871
Le défilé, 1868
Le faux départ, 1870

Durant la seconde moitié du XIXème siècle, la France se passionne à son tour pour les courses hippiques et s’en approprie les us et coutumes. Les hippodromes poussent comme des champignons dans l’hexagone, notamment en Normandie. La Normandie est aussi à cette époque la terre des impressionnistes, les deux univers devaient donc naturellement se rencontrer tôt ou tard.
C’est Edgar Degas qui réalise la série impressionniste la plus importante sur ce thème. Pris de passion pour la discipline en plein essor, au-delà des courses en elles-mêmes il s’attache aussi à retranscrire l’ambiance des hippodromes de l’époque, les avant-courses, le calme ou au contraire la nervosité des concurrents.

Édouard Manet, 1832-1883

Les courses à Longchamp, 1867, et Aux courses, 1875

Manet, autre artiste impressionniste et ami -mais non moins rival artistique- de Degas, oriente quant à lui son œuvre sur l’effervescence pendant les courses. Le tumulte de la foule, la pleine puissance du galop qui soulève la terre, l’intensité de l’instant y est palpable.
Une différence de perspective qui alimentera leur rivalité.

Troisième partie: le casino, un univers intrigant

Dernière partie en forme d’épilogue à ces deux articles sur les jeux d’argent dans la peinture, notre petit tour d’horizon ne serait pas complet sans évoquer les casinos.
Sujet beaucoup plus confidentiel que les précédents, les tableaux sur le thème des maisons de jeu restent rares. Il est possible toutefois de trouver quelques noms qui se sont essayés à retranscrire l’ambiance inimitable de ces lieux, allant des plus formels aux plus surréalistes.

Nous avons parcouru les styles et les époques dans les deux premières parties, et ici encore ils sont multiples.

La salle de jeu, Jean Béraud, 1889

Carl-Philippe-Emmanuel, misons vos 18 actions de la Compagnie des Chemins de Fer sur le rouge, voulez-vous?”

Peintre de la Belle Époque, Jean Béraud laisse à travers l’ensemble de son œuvre un précieux témoignage de la vie parisienne à cette époque.
Ici la bourgeoisie parisienne se divertit dans une salle de casino qui a davantage des allures de salon de réception, seul le tapis vert trahissant les enjeux pécuniaires en cours.

A la table de roulette à Monte Carlo, Edvard Munch, 1892

Célèbre pour “Le cri” et son style expressionniste, Munch retranscrit une ambiance quelque peu différente de la première toile, pourtant à la même époque. La foule y semble plus compacte, plus dense et plus exaltée, moins retenue.

Jeu de roulette, Israel Rubinstein, 2ème moitié du XXème siècle

Suite à un séjour aux États-Unis en 1967, le travail d’Israel Rubinstein prend un tournant résolument cubiste et surréaliste. Ce tableau peut en effet rappeler certaines peintures de Dali par exemple.
Le surréalisme et les nombreux détails/symboles énigmatiques qui composent ce tableau servent de médium à des messages cachés de la part de l’artiste, sur l’univers des jeux et de l’argent.
Nous avons une vue dégagée et ouverte sur la table, entourée de joueurs hétéroclites: le message le plus clair ici est bien une invitation au jeu, Rubinstein étant lui-même amateur de casino et de poker (d’autres de ses toiles sont consacrées au poker).

Cette liste d’œuvres est bien sûr non exhaustive, il a fallu en laisser de nombreuses de côté.
J’espère vous avoir fait découvrir quelques pépites, et peut-être nous retrouverons-nous bientôt dans un prochain article pour d’autres œuvres.