Gilles Grangier, 1962
Messieurs, enfilez votre costume trois pièces et votre chapeau melon, mesdames sortez votre plus belle capeline, aujourd’hui dans la séance cinéma nous partons à Longchamp !
C’est Monsieur Gabin lui-même qui se chargera de la visite de l’hippodrome, version années 60.
Oh non pas pour admirer les bourrins et les paddocks. On est là pour des affaires d’adultes, pour découvrir les joueurs, les vrais. Et sur des dialogues d’Audiard, on laisse parler les dabes forcément, on écoute, et on apprend…
Le pitch
Militaire haut gradé à la retraite, celui que tout le monde nomme “le Commandant” jouit d’une réputation sans faille. Connu et respecté du tout Paris, c’est sur les champs de courses qu’il est le plus apprécié. Son statut social et ses hautes relations lui confèrent une légitimité naturelle en tant qu’expert des courses. Un honnête homme en somme qui a en plus l’amabilité de donner ses bons tuyaux à quelques “chanceux”, contre une modique rétribution.
Sauf qu’expert il ne l’est pas du tout… Derrière ce personnage de façade se cache un redoutable escroc toujours en quête du prochain pigeon à plumer.
Avec l’aide de son rabatteur, il déniche et abuse du parieur naïf qui a le malheur de croiser sa route.
C’est avec Ripeux, riche restaurateur, qu’il espère faire le gros coup pour éponger ses dettes qui s’accumulent. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et le Commandant devra convaincre Ripeux d’engager un montant conséquent pour se refaire… au péril de l’un ou de l’autre.
Le Commandant
Le Commandant est un “gentleman arnaqueur”, véritable Arsène Lupin de l’escroquerie, un personnage qui sait se rendre profondément sympathique et attachant, même aux yeux des spectateurs qui ont pourtant connaissance de ses méfaits. Avec son bagou hors du commun il trouve toujours une parade pour retomber sur ses pattes dans les situations les plus délicates.
Il joue sans scrupule de son statut social pour exercer son activité délictueuse. “Il n’y a que les apparences qui comptent” pourrait être un bon résumé de sa philosophie (dans un autre genre je vous suggère le très bon “Arrête-moi si tu peux” de Spielberg, qui traite aussi de cet aspect).
Ce n’est que dans l’intimité de sa famille, sa sœur son beau-frère et sa nièce, que l’on découvre qui il est vraiment. Tous devinent son activité réelle, aux abois financièrement, endetté auprès de sa sœur
chez qui il dort dans les mauvaises périodes, il est ouvertement méprisé par son beau-frère -riche industriel- qui le considère non sans raisons comme l’homme scandaleux de la famille.
Aspect intéressant, le Commandant est en réalité dépeint avant tout comme un joueur compulsif et flambeur, et non comme un froid manipulateur qui “dépasserait” l’attrait pour le jeu.
On le découvre joueur de roulette au casino, avant de le voir plus tard perdre piteusement au bonneteau dans la rue.
Il sort de son chapeau des théories mathématiques fumeuses (“Vous ne connaissez pas la loi de Grobsofski sur la répétition cyclique?”), mais admet à sa nièce ne rien entendre aux mathématiques.
Flambeur il l’est également, signant des chèques en bois et dépensant l’argent qu’il n’a pas.
Même ses souvenirs sentimentaux sont en lien de près ou de loin avec les courses.
La perception du joueur dans le film
Le film ne déroge pas à la règle et perpétue l’image négative et sulfureuse des paris, toujours suspectés de promiscuité avec l’illégal et le vice sous toutes ses formes.
Finalement le monde des paris y apparaît comme une dualité inextricable: il n’y a que deux types de parieurs, le pigeon ou l’escroc. Un jeu de dupes sans alternative possible.
Le passage avec le bonneteau s’avère d’ailleurs très intéressant à ce titre, puisqu’on voit notre escroc passer un instant du côté des pigeons, nous montrant comme l’on peut franchir très rapidement un côté ou l’autre de la barrière.
Arnaques détaillées
Pour le plaisir, faisons un petit focus sur les principales arnaques présentées dans le film, même si rien n’y est très détaillé techniquement:
-Le Commandant fait miser à chacun de ses clients un cheval différent d’une même course, de sorte qu’il est sûr que l’un d’eux gagnera.
Chaque client misera une petite somme supplémentaire pour le Commandant, en remerciement du tuyau, qui l’assure alors d’un bénéfice final peu importe l’issue de la course.
-“Je vous fait un chèque de 200 000, allez me chercher la différence.” Le Commandant paye son addition salée au restaurant avec un chèque en bois, d’un montant plus élevé encore que l’addition, ce qui lui permet en plus de repartir avec du liquide.
-Le Commandant prend l’argent du client en lui faisant croire qu’il le misera sur tel cheval. En réalité il ne place pas le pari et garde l’argent pour lui, en espérant que le cheval en question perde.
Avis général
Ce film n’est pas le plus connu des Gabin/Audiard, il est à découvrir.
Le scénario n’est pas exceptionnel et le traitement un peu simpliste et binaire, mais c’est une comédie qui a mieux vieilli que d’autres de la même époque, avec un rythme agréable.
On ne s’ennuie pas, et voir Gabin cabotiner sur des tirades d’Audiard a toujours quelque chose de jouissif si on apprécie le genre. Si en plus vous avez un faible pour au choix les courses hippiques/les années 60/les belles moustaches, alors il ne faut pas hésiter.
Belle surprise de trouver un article cinéma ! Les paris comme éléments de découverte culturelle, j’adhère complètement ! Continuez comme ça !
Merci beaucoup Chris, content que ça te plaise ! D’autres articles de films sur ce thème sont prévus, des chefs-d’oeuvre, des navets, il devrait y en avoir pour tous les goûts 😉
Loïc