ANJ : un dilemme impossible ?

Nous sommes en 2009, pour se resituer ce sont 3 petites années après que Zizou éclate le thorax de Materazzi en finale de CDM. Comme presque chaque matin, mon père revient du tabac avec son journal l’Equipe. Il se coule un petit café bien serré et commence sa lecture pendant que moi je reporte mes paris perdants de la veille dans mon cahier. Sa petite lecture terminée, il balance le journal au bout de la table du salon et je m’empresse de le prendre pour tenter de glaner quelques infos pour mes paris du jour. Persévérant, j’ai chaque jour l’espoir de trouver l’info pépite qui me fera jouer une cote à 2.50 qui en vaut en réalité 1.30… Spoiler ce n’est presque jamais arrivé. 

Bref je m’égare un peu, mes quelques infos en poche je décide d’aller tout bonnement jouer mes paris. Je me connecte alors sur mon bookmaker étranger… Et oui, aussi étrange que ça puisse paraître aujourd’hui avec plus d’une 15aine d’opérateurs de jeu agréés, il n’y avait presque aucune offre en France avant 2010. Seuls la FDJ et le PMU avaient le droit d’exercer. Les parieurs qui étaient peu nombreux, jouaient donc illégalement sur des sites étrangers. C’est pourquoi en 2010 la France souhaite reprendre le contrôle de la situation, avec L’autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) qui ouvre à la concurrence le secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. L’ARJEL est désormais chargée de réguler et contrôler l’offre de jeux sur internet. A cet effet, celle-ci collecte les données provenant des opérateurs de jeux de façon hebdomadaire et trimestrielle dans le but de pouvoir suivre les comportements des joueurs.

L’ANJ pour vous sauver !

Les années passent et le secteur des paris sportifs en ligne est en pleine croissance en France. 10 années se sont écoulées, nous sommes le 1er janvier 2020 et l’ARJEL est remplacée par le nouveau régulateur des jeux d’argent : l’ANJ. Le but est de renforcer les pouvoirs en matière de régulation des jeux d’argent et de hasard. La messe est dite. 
Nous voilà désormais à l’approche de l’Euro 2020 (qui est joué en 2021, covid), un véritable bol d’air pour les français en souffrance et une opportunité en or pour les bookmakers d’accélérer leur folle croissance. Les bookmakers débloquent des montants assez colossaux en publicités et en offres promotionnelles en tout genre pour le plus grand plaisir des parieurs. 

Mais du côté de l’ANJ et de certains politiques ça grince des dents. Les paris sportifs et les pratiques agressives des opérateurs de jeux sont pointés du doigt. Messages trompeurs, incitations au jeu, addiction, tout y passe et la pression pour restreindre davantage les bookmakers est à son maximum. On notera quand même un discours facile et gagné d’avance pour les politiques, puisque dans un pays où les paris sportifs sont encore mal vus et tabous, personne ne s’opposera à cet avis très largement dominant. 
L’ANJ va donc resserrer la vis et on se rappelle notamment de l’interdiction de la campagne vidéo publicitaire de Winamax “tout pour la daronne”. L’ANJ estime que le film de Winamax contrevient à ces règles, car il véhicule le message selon lequel les paris sportifs peuvent contribuer à la réussite sociale, entendue comme une ascension sociale ou un changement de statut social. La machine est lancée.
Désormais les bookmakers sont obligés de soumettre en amont leurs campagnes publicitaires afin qu’elles soient validées par l’ANJ pour être diffusées. Terminé les insinuations de changement de statut social, de vivre des expériences hors du commun ou d’accéder à des services onéreux grâce aux paris sportifs, les bookmakers ne peuvent plus jouer sur cette ligne houleuse, bien qu’efficace il faut le dire. 
Pour rester cohérent, les services de pronostiqueurs et de tipsters sont désormais illégaux puisqu’ils mettent en avant une promesse de gain. Pour l’ANJ c’est clair, il n’y a pas de possibilité de bénéfices à long terme avec les paris sportifs. 

On aurait pu croire que la pression allait se relâcher un peu après l’Euro et surtout après le Mondial de 2022, mais que nenni. On est à la fin 2023, les cotations des matchs sur les bookmakers français ont rarement été aussi mauvaises avec des TRJ (taux de retour joueurs) au ras des pâquerettes. Le régulateur impose en effet aux bookmakers de rentrer dans une fourchette de TRJ sur l’exercice de l’année.
Dans la foulée Winamax se voit refuser dans un premier temps sa stratégie promotionnelle pour 2024. Le bookmaker a dû redéposer un nouveau dossier en février revu à la baisse. L’ANJ finira par approuver avec des conditions et demandera notamment que “les gratifications financières destinées à recruter ou fidéliser les joueurs demeurent modérées”. L’âge d’or des promotions semble bien révolue ! 

Une équation complexe…

Seulement tout n’est pas si simple, les paris sportifs sont la locomotive de la croissance du secteur des jeux d’argent. De cette folle croissance il y en a qui en profitent. En commençant par l’état français avec les récoltes des recettes fiscale que ça engendre. Il est répandu d’entendre que le joueur n’est pas imposé en France. C’est à moitié vrai pour ne pas dire faux. C’est une taxe indirecte puisque le bookmaker doit appliquer une marge, ce fameux montant restant après avoir retiré le taux de retour au joueur (TRJ). Cette marge permet aux opérateurs de jeux d’être bénéficiaires mais aussi de payer leurs impôts. Pour donner un exemple parlant, si vous jouez une cotation à 2.00 vous auriez pu la jouer à peut-être 2.05 si le bookmaker ne devait pas reverser d’impôt. C’est aussi pourquoi les cotations sont majoritairement supérieures à l’étranger (exemple le bookmaker Pinnacle). 
Mais revenons à nos moutons, ces recettes fiscales permettent par exemple d’alimenter l’agence nationale des sports (ANS). De l’argent qui est investi directement dans le sport amateur (infrastructures, équipements sportifs etc…) à hauteur d’un plafonnement de 34.6 millions par an et qui est régulièrement en pourparlers pour faire sauter ce plafonnement afin qu’une plus grande part, voire la totalité des recettes fiscales des bookmakers soient reversées directement à l’ANS.  

Sans oublier le sponsoring et les partenariats majeurs que les bookmakers apportent dans beaucoup de sports et ligues professionnels. Pour exemple la Ligue 1 Française de Basket s’appelle la Ligue Betclic Elite. Betclic est aussi partenaire de : l’équipe de France de football, de la coupe de France, de la Ligue 1 et de la Ligue 2, du Top 14, de l’UFC, de l’Olympique Lyonnais, de la Fédération Française de Volley…
Les diffuseurs et chaînes TV ont également intégré dans leurs modèles économiques les recettes des spots de publicités des bookmakers.
Au fil des années les opérateurs de paris sportifs en ligne sont donc devenus d’importants contributeurs du sport en France, offrant au passage une visibilité énorme pour les différents sports. 

L’ANJ marche donc sur un fil. Elle doit réguler le secteur en protégeant les joueurs à risques, en œuvrant à limiter les incitations aux jeux et à l’addiction sans pour autant compromettre la croissance du secteur des paris sportifs en ligne. N’est-ce pas un dilemme impossible ?
D’autant plus que les bookmakers s’appuient malheureusement sur les joueurs à risque pour faire une bonne partie de leurs bénéfices.
Pour ça il n’y a qu’une seule voie possible, augmenter toujours plus le nombre de nouveaux joueurs, au profil modéré et averti des risques de perte d’argent, tout en les fidélisant sur le long terme. Un poil technique !

A quoi s’attendre pour la suite (conclusion) ? 

Malheureusement le mot d’ordre est donné; on va vers toujours plus de restrictions des paris sportifs en ligne par le régulateur, surtout pour le secteur promotionnel qui est pointé du doigt depuis plusieurs années. A mon avis, on peut oublier les campagnes promotionnelles type Monopoly de Winamax, ou bien les cotes boostées de Noël de 2022. Tout ça fait parti du passé et l’ANJ ne les acceptera plus.
Néanmoins pour être un peu plus nuancé que je ne l’ai été dans l’article, une régulation (plus sous le sens de la prévention) semblait presque inévitable et bienvenue. C’est un marché très jeune, datant de 2010, avec une très forte croissance. Des dérives étaient à prévoir, comme le profil type ciblé par les opérateurs de jeu : le jeune précaire de banlieue, les abus des bookmakers qui ne payaient pas les erreurs de cotations, les fermetures abusives de certains comptes joueurs gagnants, les limitations de mises, l’absence de recours possibles, l’auto exclusion pour se protéger etc… En ce sens l’ANJ a amélioré la situation du parieur. 

Mais comme nous l’avons vu, il ne faut pas croire que ce régulateur a les pleins pouvoirs, lui-même se fait réguler par le marché. Si le régulateur finit par tuer le marché des paris sportifs en ligne sous licence à coup de restrictions et d’ajout de toujours plus de nouvelles règles, alors les parieurs se (re)tourneront petit à petit vers les bookmakers étrangers (illégaux) et l’ANJ et l’état deviendront les grands perdants puisqu’ils ne percevront plus de recettes fiscales en plus de perdre le contrôle total des joueurs. C’est d’ailleurs exactement pour ça qu’en 2010 il y a eu l’ouverture à la concurrence.
Le cas des casinos en ligne est un autre exemple de la dérive de toujours plus de restrictions. La régulation est tellement excessive qu’ils sont interdits en ligne. La France et Chypre sont les seuls États à ne pas les autoriser. Mais du coup il n’y a aucun joueur de casinos en ligne en France ? Bien sûr que non, il suffit d’aller sur Twitch et de taper la tendance “casino” pour comprendre qu’il y a une flopée de joueurs qui jouent illégalement sur des sites étrangers. Un calcul complètement perdant et je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi cette situation des casinos en ligne ne change pas.

L’ANJ doit donc jongler entre régulation du marché français tout en conservant la croissance économique du secteur (un dilemme très français). 
Mais comme entre le voleur et le gendarme, c’est toujours le voleur qui a un train d’avancer sur le gendarme, qui lui doit s’adapter. Il n’est donc pas impossible de voir les bookmakers profiter de la pleine croissance du secteur pour faire preuve d’imagination et trouver toujours des moyens de contourner le régulateur, jusqu’à ce que ce dernier… régule à nouveau. Prenons pour exemple les cotes boostées, ce sous secteur promotionnel n’existait pas il y a encore quelques années. C’est donc une boucle sans fin avec sans aucun doute son lot de rebondissements à venir ! 

J’espère que cet article vous aura plu et qu’il vous aura appris des choses. J’ai conscience que le sujet n’est pas vraiment palpitant mais c’est toujours bon de connaître un minimum le secteur avec ses différents acteurs. Surtout pour vous lecteurs qui êtes pour le plus grand nombre des joueurs de promos et de cotes boostées ! N’hésitez pas à laisser un commentaire.

Tout pour la daronne c’est non !

4 Comments

    • Bonjour Bill, merci beaucoup pour le commentaire c’est sympa 🙂 En espérant que vous ayez appris des choses !

  1. Bonjour Mowgli,
    Encore un article très intéressant à découvrir !! Merci pour ce petit rdv très plaisant et instructif. Je te souhaite une belle journée

    • Bonjour Sébastien, merci beaucoup ! Super ça fait plaisir de savoir que tu apprécies les articles 🙂 Bonne journée également !

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